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REVUE DE PRESSE ESPAGNOLE
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Chaque semaine (ou presque), Mathieu
de Taillac, journaliste pour le célèbre journal espagnol
El País, livre en exclusivité sur EnEspagne.com
sa chronique de l'actualité espagnole. |
• 21.09.2006
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Trente mois après la mort de 191 personnes lors
des attentats de Madrid, l’enquête judiciaire
et les conjectures médiatiques sont encore l’objet
d’un âpre débat entre gouvernement
et opposition, mais aussi entre les deux premiers journaux
et les deux premières radios espagnols.
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Mathieu de Taillac - Madrid
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"Les fantômes
des attentats du 11 mars "
Imaginez Le Monde expliquer en première page pourquoi les
journalistes du Figaro sont des menteurs de la pire espèce.
Imaginez l’UMP accuser le PS de cacher aux citoyens la vérité sur
l’attentat terroriste le plus meurtrier de l’histoire
du pays, deux ans et demi après les faits… C’est à peu
près ce qui se passe juste au-delà des Pyrénées.
Trente mois après la mort de 191 personnes lors des attentats
de Madrid, l’enquête judiciaire et les conjectures médiatiques
sont encore l’objet d’un âpre débat entre
gouvernement et opposition, mais aussi entre les deux premiers
journaux et les deux premières radios espagnols.
Il y a d’un côté la thèse officielle : les
attentats du 11 mars 2004 ont été commis par un groupe
de terroristes islamistes liés au réseau international
Al Qaida, ceux-là même qui se sont suicidés en faisant
exploser leur appartement quelques semaines après, le 3 avril
2004. Les terroristes ont utilisé un explosif acheté en
Espagne, à un ex mineur des Asturies (nord-ouest), José Emilio
Suárez Trashorras. Al Qaida a sans doute été motivée
par l’implication de l’Espagne dans la guerre en Irak –décidée
par le gouvernement du du conservateur Parti Populaire (PP) contre l’avis
majoritaire des Espagnols- pour choisir Madrid comme cible.
De l’autre côté il y a des hypothèses qui
s’appuient essentiellement sur le témoignage de Trashorras,
aujourd’hui en prison pour complicité de terrorisme, et
qui tentent d’impliquer l’organisation terroriste basque
ETA –montrée du doigt par le gouvernement PP et par à peu
tout le monde dans les premiers moments qui ont suivi les attentats-.
Ces arguments qui flirtent avec les théories de la conspiration
sont relayés principalement par deux médias proche de
la droite –qui a perdu par surprise les élections du 14
mars 2004-, le quotidien El Mundo, habitué aux titres sensationnalistes,
et la radio COPE, propriété de la Conférence épiscopale
espagnole. Une partie du PP s’appuie sur les pistes d’El
Mundo pour accuser le Gouvernement socialiste de ne pas dire toute la
vérité sur le 11 mars.
Ce mercredi 13 septembre 2006, le premier quotidien espagnol,
El País, s’en est pris directement et en première
page à son concurrent direct, El Mundo (numéro deux de
la presse espagnole, à quelques centaines de milliers de lecteurs
d’El País, mais en croissance). El País, proche
du gouvernement socialiste, cite la source principale d’El Mundo,
Trashorras, qui aurait déclaré par téléphone à ses
parents, depuis sa cellule : « Tant qu’El Mundo me paie,
je suis prêt à leur raconter la guerre civile ».
El País consacrait ensuite deux pages intérieures et son
premier éditorial à démontrer que les théories
d’El Mundo étaient sans fondement, et que ce journal pratiquait
un journalisme sensationnaliste et peu rigoureux. Il est à noter
que le quotidien ABC, doyen conservateur et catholique de la presse
espagnole, a relayé les informations d’El País et
condamné lui aussi les « dérives » d’El
Mundo.
L’affrontement n’en reste pas là, mais est transféré des
tribunes médiatiques aux tribuns politiques. Le même jour
au Parlement, le PP accuse le gouvernement de « fausser et d’oublier » des éléments
des attentats, le ministre de l’Intérieur lui répond
qu’il est « immoral » d’apporter au Congrès
des Députés de telles « théories de la conspiration ».
Le lendemain, El País dénonce « l’addition
d’énormités » du PP, et El Mundo juge que
le gouvernement n’a pas répondu aux questions. ABC se lamente
du sort des « intérêts de la droite » : « Une
droite qui base son opposition au [parti socialiste] PSOE sur le 11
mars est vouée à l’échec, non seulement électoral
mais aussi idéologique ».
Les jours suivants, les deux protagonistes médiatiques continuent
leur affrontement. Pedro José Ramirez, le directeur d’El
Mundo, multiplie les interventions et arrache une confession à l’un
des auteurs de l’article d’El País : finalement,
on ne peut pas vraiment savoir si Trashorras a été payé par
El Mundo. De son côté, El País fournit de nombreux
témoignages des autorités policières en place à l’époque
du gouvernement du PP, qui écartent la piste défendue
par El Mundo d’une implication de l’ETA. À l’étranger,
The
Guardian
et La Reppublica cherchent à comprendre…
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